Voici le témoignage de Fanny, touchée par la pré-éclampsie et par une hémorragie de la délivrance, qui a douté un instant que son petit Nathéo puisse grandir avec sa maman. Son sentiment de culpabilité est fort, même si bien sûr, rien n’est de sa faute. Merci pour ce témoignage et ce soutien pour mieux faire connaître la pré-éclampsie !
« Mardi matin, c’est le retour des vacances, je me prépare pour aller à l’école avec un mal de crâne qui dure depuis 48h. Je suis alors à 33 semaines de grossesse. Il me reste 15 jours avant mon congé maternité. Je m’attends à faire plein de belles choses, profiter à fond de la fin de ma grossesse, faire ma valise pour la maternité, les magasins pour bébé, les cours à la clinique, des photos avec mon gros bidon. Mais finalement, rien ne va se dérouler comme prévu.
Comme chaque matin avant d’aller au travail, je vais promener mes chiens dans les champs à côté de la maison, je me sens très fatiguée et j’ai la tête qui tourne un peu. Je rentre chez moi et prends ma tension : 16/9. J’avais lu la veille un article sur une maladie de grossesse « la pré-éclampsie » : tension élevée, maux de tête, bourdonnements, tâches devant les yeux. Je demande conseil à une collègue qui me dit de ne pas hésiter et d’aller aux urgences de la clinique, juste par précaution. Mon mari arrive, nous reprenons ma tension : 17/10. Après dix minutes, nous décidons d’aller aux urgences. Je ne suis pas vraiment inquiète, je me dis que c’est la fatigue. Les professionnels qui m’entouraient ne semblaient pas inquiets quand ma tension montait un peu, elle finissait toujours par redescendre pendant la consultation.
Nous arrivons aux urgences, j’explique ce qui m’arrive, on me place dans une salle. On reprend ma tension : toujours élevée, et on me fait un prélèvement d’urines et une prise de sang. On met le monitoring pour vérifier que bébé va bien. Tout semble ok pour lui. Les médecins décident de me faire deux injections pour faire maturer les poumons de bébé « au cas où ». Ma gynécologue arrive et me fait une échographie. Tout va bien mais ma tension ne redescend pas. On me place alors dans une chambre. Pendant deux jours, monitoring, tensiomètre et plusieurs essais de médicaments par voie orale qui pourraient aider à faire descendre ma tension. Sans succès. Les médecins essaient alors par voie veineuse. Le cathéter se bouche souvent, les infirmières le débloquent avec un stylo, c’est très douloureux. Plusieurs associations de médicaments pour faire baisser ma tension, qui n’ont aucun effet… Ma tension monte dans les 19. Je suis parfois malade, je vomis mes repas, j’ai très mal à la tête. Mais j’ai le soutien de mon mari et de ma famille. Les monitoring semblent maintenant inquiéter les médecins, le bébé ne bouge plus, ils viennent le stimuler plusieurs fois jour et nuit mais sans succès. Un médecin me dit cette phrase : « Vous ne le protégez plus »… J’attends que je médecin parte et je fonds en larmes. Dire cela à une future maman c’est vraiment dur même si c’était pour m’expliquer ce qui se passait dans mon corps. Moi qui ai fait très attention pendant toute ma grossesse, je ne suis pas capable de protèger mon fils, qui pourtant est à l’abri dans mon ventre…
Jeudi matin, le médecin de garde vient me voir en me disant que l’on me transfère au CHU d’Amiens. C’est eux qui décideront de ce qu’il faut faire. Je ne sais pas de quoi il parle. Je vais accoucher ? Est-ce que c’est dangereux pour le bébé à ce stade de la grossesse ? J’appelle mon mari, il arrive. Le samu vient me chercher, mon mari prend la voiture et nous rejoindra là-bas. Dans le samu, j’entends la sirène. Je demande sur le ton de la rigolade : « C’est si urgent ? » On me sourit sans rien répondre. Je commence à m’inquiéter. J’arrive à l’hôpital dans une salle d’examen des urgences gynécologique et là, une dizaine de personnes viennent tour à tour se présenter à moi et me faire plusieurs examens : tension, température, on me pose des questions sur mes antécédents, mon groupe sanguin, ma grossesse, le bébé. On remet le monitoring : toujours pas d’activité. On me laisse cinq minutes seule avec mon mari. J’essaye de le rassurer en lui disant que je n’ai pas peur, que j’ai confiance, mais c’est un moment très dur pour nous deux, nous trois. Un médecin vient alors me voir et m’explique qu’ils vont placer un deuxième appareil sur mon ventre (je ne me souviens plus du nom). Celui-ci déterminera s’il faut sortir le bébé (selon le rapport inférieur ou supérieur à 3, il me semble). Au bout de cinq minutes, nous avons la réponse : 1,3. À ce moment-là, tout va très vite. On nous demande de choisir un prénom. On m’explique que je vais avoir une césarienne en urgence, qu’ils emmèneront mon bébé rapidement pour des soins. Mon mari ne pourra pas être avec moi.
On m’emmene au bloc, encore une fois beaucoup de personnes autour de moi. L’anesthésiste m’explique comment me positionner, c’est douloureux mais supportable. Je ne sens plus rien en dessous du ventre. Au bout de quelques minutes, cela commence, une sensation très étrange. J’ai comme l’impression qu’on va chercher mon bébé très loin, la personne souffle comme si c’était un gros effort de le prendre. Cette sensation que l’on vient m’arracher mon bébé du ventre. Et là j’attends ce cri dont on m’a tant parlé. J’entends mon fils crier, les médecins me demandent si je l’ai entendu, je réponds que oui, et ils l’emmènent loin. Je ne le vois pas. Cinq minutes plus tard, on me dit qu’il va bien, qu’il est avec son papa. Pendant ce temps, on me « referme ». Je vois alors un monsieur arriver avec un bébé dans les bras, c’est mon fils, il me le montre. Je l’embrasse et retiens tous les détails de son visage aussi vite que je peux. Quinze secondes et il repart. Je suis fatiguée, mais je tiens pour rester éveillée. Je veux revoir mon bébé, savoir comment il va, comment va mon mari.
On me monte en salle de réveil, je refuse de dormir. J’attends une heure, deux heures peut-être trois et on vient me chercher pour m’emmener dans ma chambre. Je vais pouvoir voir mon fils le soir et faire un peau à peau avec lui, un moment magique. Je retourne dans ma chambre apaisée, mon fils va plutôt bien pour un prématuré. Je m’endors et me réveille dans la nuit avec des douleurs au ventre. Les infirmières disent que c’est normal. Je perds beaucoup de sang, j’appelle plusieurs fois, on vient m’appuyer très fort sur le ventre. À 3h00, on me dit que je perds trop de sang, ils préfèrent m’emmener en bas, aux urgences. Je préfère ne pas prévenir mon mari et ma mère qui sont chez nous, je me dis que ce n’est pas très grave. Ils ont eu une dure journée, je veux qu’ils se reposent. J’attends une heure avec ces douleurs atroces. Un médecin vient essayer d’enlever le reste de placenta manuellement sans succès. Et là, cela recommence.
Plusieurs médecins viennent me voir, ils me disent qu’on doit m’opérer à nouveau pour enlever le reste de placenta, que je perds beaucoup trop de sang. Je suis épuisée et on me demande, après une césarienne, de me remettre assise, penchée en avant. J’essaye malgré la douleur mais je ne tiens pas plus de deux minutes. Les médecins me disent de m’allonger sur le côté et ils me font une anesthésie locale, comme pour la césarienne. Au bout de dix minutes, je demande si je peux dormir et je m’endors mais je continue à entendre tout autour de moi. Je reprends mes esprits à la fin de l’opération, je suis gelée, comme si on m’avait plongée dans un bain glacé. Je tremble, on me met deux couvertures chauffantes mais j’ai encore froid. Je finis par m’endormir. Je me réveille dans cette même salle que la veille. On vient me voir en m’expliquant ce qui s’est passé. J’ai fait une hémorragie de la délivrance, on a dû me faire deux transfusions. Je suis fatiguée, je me rendors. Je pense à mon fils, à mon mari et à ma maman que je n’ai pas voulu prévenir dans la nuit. Est-ce qu’ils sont au courant ? Ils sont à l’hôpital ? Je retourne dans ma chambre quatre heures plus tard, mon mari et ma maman m’attendent. Je vais sortir de la maternité comme les autres mamans trois jours plus tard mais je vais repartir sans bébé… Il reste là le temps d’aller mieux.
Pendant trois semaines, nous ferons les allers-retours tous les jours pour voir Nathéo, ce bébé si petit et pourtant si fort. Il nous épate de jour en jour, progresse, grossit, passe des étapes. Il est fort et m’impressionne. Nathéo sortira au bout de 3 semaines : « Nathéo peut rentrer à la maison, vendredi ». À ce moment-là, plusieurs émotions : la joie, mon bébé va enfin rentrer avec nous, la peur, il est trop petit, il était bien surveillé avec des capteurs pour sa respiration, est-ce que je vais y arriver sans tout cela pour le surveiller à la maison ?
Il est aujourd’hui un petit garçon en pleine forme, il évolue et rattrape son retard de poids ! Il me sourit et je fonds pour lui. Je suis une maman épanouie et heureuse. Néanmoins je n’oublie pas… Je pleurs en repensant à tout cela. Je me sens coupable de ce qui est arrivé, de ce que mon petit garçon a dû subir alors qu’il venait de naître. Il aurait dû arriver dans cette vie et ne voir que du bonheur, ne pas quitter ses parents, ne pas connaître la douleur de tous ses examens, ne pas être seul. Il faut maintenant que j’arrive à faire le deuil de ma fin de grossesse, de mon accouchement. Cela n’aurait pas dû se passer ainsi. Mon plus grand regret : je n’ai pas assisté à la rencontre entre mon fils et son papa, ni avec ses grands parents ou oncles et tantes. Ces instants m’ont été volés. Je peux juste les imaginer mais cela ne suffit pas. Aujourd’hui je dois vivre avec ce souvenir dont j’ai la trace physique sur le ventre. Une cicatrice me rappelant le plus beau jour de ma vie, la rencontre avec mon fils mais aussi le souvenir du jour où j’ai cru que mon fils allait peut-être grandir sans maman. Je crois en certaines choses qui me font dire que rien n’arrive par hasard, que je devais vivre cela mais parfois je me demande pourquoi nous ? Cette maladie n’est pas assez connue et c’est une erreur. »