« On sait ce qu’on a frôlé. On voit la vie autrement. »

« On passe des mois à se demander si l’on veut un enfant. C’est vrai, on est si heureux à deux, pourquoi changer les choses ? Et puis un jour, on se décide. Bien sûr qu’on a envie. On est juste totalement flippés à l’idée de mettre au monde un bébé ! Un bébé qui pourrait tout changer. Un bébé qui va forcément tout changer.

Le 27 février 2018, ma gynécologue m’enlève mon stérilet. Je me revois, en remettant mes chaussures : « Donc là, je peux tomber enceinte direct, c’est bon? ». Petit sourire en coin de la gynécologue. Elle ne le savait pas encore, évidemment, mais j’étais enceinte. Et moi je le savais, je le sentais. C’était presque dans l’instant, je savais qu’il était là mon bébé. J’attends mon retard de règles pour faire le test. Positif. Prise de sang, le lendemain. Les bêta HCG font la fête dans mon utérus ! C’est parti.

Je vis un premier mois magnifique. Tellement beau que j’en oublie que les nausées et autres petits bonheurs de la grossesse peuvent me guetter. Eux, ils ne m’ont pas oubliée. Je fête l’entrée dans le deuxième mois la tête au dessus des toilettes pour la 15ème fois de la journée. C’est le début de cinq mois de vomissements, de pleurs au fond du lit en se demandant quand l’enfer va s’arrêter. J’apprends que je souffre d’hyperémèse gravidique. Cela non plus ce n’est pas bien connu en France, et pas bien traité, pas pris en compte comme il faudrait. Cela mine le moral et te fait vivre un cauchemar alors que tu voudrais juste respirer le bonheur. On t’avait pourtant présenté la femme enceinte comme une déesse merveilleuse au teint rayonnant qui se balance gentiment sur son rocking chair en caressant son joli ventre… Le seul truc rassurant, et non des moindres, c’est qu’à chaque échographie, bébé va super bien !! Maman prend cher mais bébé pousse comme il faut. Et ça, c’est quand même sacrément génial !!!

Passe l’été. Les vomissements s’estompent courant juillet. En septembre, je reprends le travail pour un mois. Je suis professeur au collège et je suis heureuse de revoir du monde. Le 4 septembre, nous voyons la sage-femme pour la première fois pour commencer les cours de préparation à la naissance. Je lui fais part d’une douleur au niveau des côtes. Elle me dit que c’est sûrement bébé qui appuie et elle rajoute que les femmes enceintes ont toujours mal quelque part. Peut-être… En attendant, cette douleur est une douleur épigastrique. Je l’apprendrai bien plus tard. Je passe un mois avec ce poids sous la poitrine. Je vais voir un osthéopathe spécialisé femme enceinte. Il ne fait pas le lien. Je gonfle de tout le corps, petit à petit en commençant par le bas. J’attends mon congé maternité avec impatience. Je pourrai passer mon temps les jambes en l’air, dans le canapé. Là je passe mes journées debout, c’est normal de gonfler. J’arrive à me convaincre que c’est normal de gonfler des poignets, des mains, au point de ne plus pouvoir passer sa veste. Je ne vois pas ou, je ne veux pas voir, mon visage qui gonfle et qui jaunit. Je fais un ictère, mon foie n’en peut plus. Je suis du genre à éplucher le net à chaque pépin de santé. Je lis tous les symptômes de la pré-éclampsie. Je sais que cela cloche mais je mets un voile devant mes yeux. J’ai « galeré » pendant cinq mois, je veux juste enfin profiter de ma grossesse. Je suis juste fatiguée et je suis trop debout, une fois en arrêt ça va aller. Je vomis de nouveau, moins qu’avant mais un peu quand même. Je ne vais plus faire pipi. Et quand j’y vais, c’est couleur caramel. Je m’en rends compte mais entre deux cours et trois copies, je l’oublie. Je fais l’autruche. Je ne peux plus tourner mon alliance. Elle qui était trop grande, elle me sert le doigt si fort. Je ne peux plus la retirer.

Mardi 25 septembre, RDV pour l’échographie des sept mois. Tellement heureux de voir que tout va bien. Bébé est renommé « bébé parfait » depuis le départ par la gynécologue. Dommage que cet instant magique soit un peu gâché par une affreuse migraine que je traîne depuis la veille au soir… Le lendemain matin, j’appelle le collège. Je ne vais pas venir travailler. J’ai si mal à la tête. L’après-midi-même, j’ai mon RDV mensuel chez ma gynécologue. Je lui liste mes symptômes. Elle prend ma tension. L’autre bras. « On va attendre cinq minutes. Reposez-vous ». L’autre bras de nouveau. Elle fait un courrier pour l’hôpital et me dit de me rendre aux urgences faire un petit bilan.

Sur le parking, je lis le courrier qu’elle a rédigé. J’appelle mon mari en pleurs. Je sais que l’enfer, c’est maintenant. Ce n’était pas de vomir pendant cinq mois. L’enfer, c’est là, toute seule sur ce parking, à sept mois de grossesse et le sol qui s’ouvre sous mes pieds. Il plante son boulot, on part à l’hôpital. Pipi dans un bocal, tension, prise de sang. Les sages-femmes sont adorables. On nous explique tout. On comprend l’urgence et cela semble en même temps irréel. Hier tout allait si bien. Enfin … Cela fait un mois sûrement que la maladie s’est déclenchée. J’ai une tension à 18/9. Elle montera plus haut par la suite. J’ai un taux de protéines dans les urines qui rendrait jaloux Musclor. Les plaquettes sont au plus bas. Tout va trop vite. Tout est flou. Je suis dans le coltard. J’ai peur et j’ai si mal dans mon cœur de future maman. Je voulais un accouchement physiologique, le moins médicalisé possible. Je voulais mon enfant contre moi tout de suite, qu’il vienne se blottir sur sa terre d’accueil dans l’instant. Le sein dans la bouche et son père à côté. Quand je vois la gynécologue arriver en urgence avec les derniers résultats et un rasoir, je comprends. « On va se préparer, on va devoir faire la césarienne maintenant ». Se préparer. J’aurais aimé. Je n’étais pas prête. On n’était pas prêts. Je laisse mon mari derrière les portes battantes. Je pars vraiment avec l’idée que je ne vais plus le revoir. Je vais mourir. Je lui dis qu’il raconte à notre fils qui j’étais et comme je l’aimais de tout mon cœur.

La péridurale est compliquée. L’anesthésiste a du mal à piquer. Je suis tellement gonflée. Le chirurgien s’impatiente : « Y’a pas le temps ! » Il met le scalpel sur ma peau et je sens tout. On attend encore 20 secondes mais pas plus. « Y’a pas le temps. Y’a plus le temps ». Je vais mourir là dans la douleur sans mon mari et sans connaître mon fils. Je me dis que quitte à mourir, j’aimerais ne pas souffrir. Trop tard. Mais j’ai tellement mal à mon cœur, à mon âme, à mon être, que ce qui se passe sur mon ventre, je l’oublie. Mon bébé est sorti. On me le montre 10 secondes. Je ne réalise pas. Vite, recoudre, attention, l’hémorragie… Un infirmier veut être sympa et me dit que j’ai le ventre plat, comme s’il n’y avait jamais eu de bébé. Je pleure et dans ma tête, je l’envoie prendre un cours de psychologie ! Je pars en réanimation pour la soirée. Puis la nuit. Puis la journée. Montez-moi voir mon enfant !

On se rencontre entre des câbles, des sondes, un masque à oxygène. C’est tellement loin de tout ce qu’on avait pu imaginer. Faire le deuil. On vient de donner la vie et il faut faire le deuil de toutes les projections qu’on s’était faites. Notre fils est né à 32 semaines et 4 jours pour 1,800kg et 42cm. On mesure chaque jour la chance immense que nous avons eu lui et moi. Il va très bien et, à part être né plus tôt, c’est comme s’il ne s’était rien passé de son côté, jusque-là, d’après ce qu’on voit. On croise chaque jour les doigts pour ne rien découvrir plus tard.

Pour ma part, je sais que j’ai eu une sacrée bonne étoile. Cette maladie est une vraie loterie, parfois je ne comprends pas comment on a pu s’en sortir tous les deux. J’ai mis du temps à accepter que j’avais le droit de vivre et d’être heureuse après cette épreuve. Je travaille encore dessus chaque jour. Cela fait partie de nous pour toujours. On se guérit petit à petit, ensemble, à coup de portage, de têtées entre quatre yeux, de cododo l’un contre l’autre. On a un lien que je n’échangerai pour rien au monde. On sait ce qu’on a frôlé. On voit la vie autrement. Et tous les jours je pense à ceux qui ont eu moins de chance. »

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