Voici le parcours de combattantes de Claire et sa fille à cause d’une pré-éclampsie compliquée d’un HELLP syndrome ébranlé par les diverses complications, manque d’informations, séparations et transferts.
« Je suis tombée enceinte rapidement et la grossesse se passait plus ou moins bien. J’avais des maux de grossesse, mais rien de grave. Le troisième trimestre a été écourté. J’ai fait une pré-éclampsie sévère à 32SA+4. J’ai accouché à 33SA+4 car j’ai fait un HELLP syndrome qui a perduré après l’accouchement. J’avais aussi un hématome rétro placentaire.
Durant mon 6ème mois de grossesse, j’avais pris beaucoup de poids, mais c’était l’été, il faisait chaud et j’avais des œdèmes au niveau des membres inférieurs. Ma sage-femme m’avait prescrit des bas de contention et du Daflon™ puis elle m’a demandé de me peser une semaine après qu’on se soit vues, lors de mon échographie du 3ème trimestre. En une semaine, j’avais pris 2 kg. Elle m’a donc prescrit une prise de sang et une analyse d’urines.
Je vais au laboratoire le lendemain, mardi 7 septembre, car il fallait que je sois à jeun pour la prise de sang. Je reçois les résultats l’après-midi et je les envoie à ma sage-femme. Elle m’appelle et me demande de me rendre aux urgences de la maternité car il faut recontrôler deux valeurs qui sont élevées. Je l’entends encore me dire : « Ne vous inquiétez pas, ce n’est rien ».
Je me rends seule aux urgences, puisque ce n’est rien. J’arrive aux urgences vers 16h30. J’attends un long moment avant d’avoir un monitoring. Je suis à 32SA+4.
Fausse alerte…?
Les urgences ferment, on nous demande de monter dans le couloir de pré travail. Toutes les femmes qui attendent avec moi aux urgences veulent accoucher. Je suis celle qui est le moins avancée dans la grossesse. Rien n’est prêt, la chambre n’est même pas encore faite et je n’ai pas encore trié les affaires de bébé.
On me fait le monitoring, j’écoute le cœur de mon bébé, je suis sereine. La sage-femme arrive, elle me dit que je fais de l’hypertension et que j’ai des protéines dans les urines. Je comprends à ce moment-là que je fais une pré-éclampsie même si elle ne me le dit pas clairement. Elle veut attendre de discuter de mon cas avec l’interne et que celle-ci m’ait vue avant de se prononcer.
Après un long moment, l’interne me reçoit, elle me fait une échographie et m’annonce que je fais une pré-éclampsie, que le bébé va bien et que je vais accoucher dans une semaine. Je tombe des nues…
Je suis hospitalisée le soir même, mais il n’y a plus de place en grossesse pathologique, je dois rester dans une chambre de pré travail.
On me fait la première piqûre de corticoïdes dans les fesses. Je suis un peu honteuse de me déshabiller devant une sage-femme que je ne connais pas.
Je dors mal, j’entends des femmes crier, pleurer. J’ai peur. Je suis seule.
Le lendemain, on me trouve une chambre en grossesse pathologique. Je suis bien prise en charge. Les sages-femmes sont super. L’équipe pluridisciplinaire est bienveillante. On me fait des monitorings trois fois par jour, des échographies. Bébé va bien, même si elle est un peu petite.
Mercredi 8 septembre, je reçois la visite de deux gynécologues. On me dit que je vais rencontrer un pédiatre et un psychologue de néonatalogie ces prochains jours, au cas où, pour me projeter (finalement je ne les rencontrerai pas avant l’accouchement).
Le jeudi 9 septembre, ma tension est bonne, la gynécologue me laisse sortir et me convoque à hôpital de jour tous les mardis jusqu’à la fin de ma grossesse. Je demande à la gynécologue si je dois prendre ma tension, elle me dit que ce n’est pas nécessaire mais que je peux le faire au réveil, sans me stresser. Je repense à ce que m’a dit l’interne et je souris. Finalement, elle s’était trompée. Je rentre chez moi, je suis heureuse et soulagée.
Le 12 septembre, dimanche matin, je prends ma tension pour me rassurer : 16, 15/9, 16. J’appelle ma sage-femme, je ne ressens rien. Pas de signe d’hypertension (je n’en n’ai jamais eu d’ailleurs). Elle me dit de contrôler ma tension pendant une heure et de me rendre aux urgences si cela ne baisse pas.
Je me rends donc aux urgences, avec un sac au cas où je suis réhospitalisée. La sage-femme me fait une analyse d’urines et un monitoring. Le monitoring est bon, j’ai une tension à 13/9, un peu élevée par rapport à ma norme, mais rien d’alarmant.
Elle n’a pas encore les résultats de l’analyse d’urines mais elle me laisse sortir, disant que si les résultats ne sont pas bons, je serai rappelée.
18h30, je suis rappelée : mes protéines ont augmenté de façon exponentielle, je suis à 7g. Je suis réhospitalisée en grossesse pathologique. On m’installe dans la chambre que j’ai quittée trois jours plus tôt. Ironie du sort.
Le 13 septembre, tout va bien, je passe une bonne journée, je me fais bichonner par l’équipe du service de grossesse pathologique. On me pose quand même un cathéter « au cas où on en aurait besoin ».
Arrive le soir, j’essaie de m’endormir, mais je ne me sens pas bien. J’appelle la sage-femme, elle me montre comment m’installer avec un coussin de grossesse. Cela ne change rien. J’ai mal au ventre, un poids qui me fait souffrir. La fameuse barre épigastrique. Je vomis mon repas du soir, je suis soulagée. La sage-femme me fait un monitoring spécial : bébé bouge bien. Elle me fait des prises de sang. Je suis dans le gaz, j’ai envie de dormir.
Premier transfert…
Mardi 14 septembre, la gynécologue entre dans ma chambre et m’explique que je vais devoir être transférée dans une autre maternité, car il n’y a plus de place en néonatalogie et que, s’il fallait que j’accouche, mon bébé ne pourrait pas être accueilli ici. Je comprends. Je signe une décharge donnant mon accord pour le transfert. Ils appellent le SAMU et trouve une place à 65 km de mon domicile. On me perfuse avec un médicament hypotenseur. Le SAMU arrive rapidement. Je n’ai pas eu le temps de me doucher, la veille j’ai vomi, je n’ai pas eu la force de me brosser les dents après. Je me sens sale, j’ai peur, je me sens seule, je n’ai pas envie de partir aussi loin. La sage-femme m’aide à rassembler mes affaires, j’enfile un jogging par-dessus mon pyjama. Elle me rassure : « Peut-être que vous reviendrez accoucher ici si votre état se stabilise. Les transferts existent ».
Le SAMU me met sur un brancard et m’emmène loin. Ils roulent avec le gyrophare et la sirène, je me dis qu’ils exagèrent, je ne suis pas sur le point de mourir quand même… J’arrive à la maternité, je ne connais pas cette ville. Je ne connais pas cette maternité que je trouve moche et vieillotte. Je veux repartir là où j’étais… On m’installe dans la salle de monitoring car toutes les autres salles de pré travail sont occupées. Je ne suis pas bien, je pleure beaucoup. La sage-femme qui s’occupe de moi essaie de me rassurer. Je lui demande si je dois appeler mon mari car il est au travail et il y a une heure entre mon domicile et cette maternité. Elle me fait comprendre que c’est mieux.
La gynécologue arrive, elle m’annonce qu’elle va me faire d’une césarienne. Je suis abasourdie. Elle m’explique que j’ai trop de protéines dans les urines, je suis à 17g/L. J’ai l’impression qu’elle choisit la solution de facilité mais je n’ai pas le choix.
Mon mari me rejoint, nous sommes partagés entre l’excitation de rencontrer notre bébé et la peur car je suis à 33SA+4.
Je pars au bloc, la césarienne se passe bien. L’anesthésiste me dit qu’un lit est réservé pour moi en unité de soins continus de l’adulte. Je me dis que c’est normal, après une opération.
Ma fille naît, pousse son premier cri. Nous pleurons de joie. Je l’embrasse et on l’emmène voir un pédiatre pour les premiers soins. Mon mari peut aller la voir. Il me rejoint quand elle est emmenée en réanimation néonatale.
La gynécologue me recoud, je ne me sens pas bien et je vomis. On m’emmène en salle de réveil, je tremble comme une feuille morte puis je vais en unité de soins continus.
J’essaie de manger et de boire. Je vomis tout. Je dois manger léger. Mon mari me rejoint, il m’explique comment se porte notre bébé. Elle est minuscule, il me montre des photos. Je ne réalise pas.
J’essaie de m’endormir mais c’est difficile. Je passe une nuit terrible, je cauchemarde, on me réveille toutes les trois heures pour prendre ma température et mes constantes, je suis scopée, j’ai un saturomètre, ma tension est contrôlée toutes les 30 minutes par un brassard qui me fait mal. Je me réveille en sursaut par des douleurs au niveau de l’utérus. J’ai mal.
Les soignants parlent dans le couloir comme en plein jour, ma porte ne se ferme pas. J’entends un patient crier toute la nuit. Je ne pense pas à mon bébé. Je veux sortir d’ici…
Complications et nouveau transfert
Mardi 15 septembre, je me réveille et je sens que quelque chose ne va pas. J’ai les paupières gonflées. Je me prends en photo et je vois mon visage déformé. L’équipe soignante me dit qu’ils ne me connaissent pas et qu’ils ne savent pas à quoi je ressemble normalement. Je dois leur montrer des photos de moi avant la césarienne pour qu’ils constatent que j’ai le visage enflé. Je m’inquiète.
La gynécologue arrive quelques heures après pour vérifier la cicatrice qu’elle juge belle. Elle me dit que c’est normal d’avoir le visage gonflé après une césarienne et que cela va partir. Je suis soulagée.
L’équipe soignante n’a pas l’habitude de prendre en charge des patientes venant de faire une pré-éclampsie. Elles me demandent comment je fais pour être aussi forte car je ne pleure pas pour voir mon bébé. Je ne sais pas pourquoi. Je veux voir ma fille, mais je n’ai pas la force. L’équipe soignante me dit qu’ils vont tout faire pour m’aider à voir mon bébé, quitte à ce qu’ils m’accompagnent en fauteuil roulant. Mais le médecin ne veut pas, il me dispute. Je ne dois pas me lever. J’ai fait une pré-éclampsie et un HELLP syndrome, c’est trop dangereux. Pour l’instant, je ne peux pas me lever.
Je suis aidée pour tout, je suis sondée, je me fais laver, je suis faible. Je passe mon mercredi à somnoler. Dans l’après-midi, on m’apporte un tire-lait car je veux allaiter. On m’explique comment cela fonctionne et on me le prête avant que je reçoive le mien en location. Je tire mon lait. Je suis fière de ses quelques gouttes de colostrum tirées qu’on s’empresse d’aller porter à ma fille.
Le soir, je ne me sens pas bien, j’ai une douleur à la poitrine. Je vomis encore. On me fait un ECG.
La douleur passe lorsque je vomis. Mes enzymes hépatiques sont toujours en train d’augmenter.
Jeudi 16 septembre, je passe un angioscanner pour contrôler si tout va bien. Je saurai plus tard que je n’ai pas d’embole mais de l’ascite dans le ventre et un peu de liquide dans les poumons. Quand je rentre en chambre, on me dit que ma fille va venir me voir. Ils déplacent mon tout petit bébé dans sa couveuse. La sage-femme qui est là me dit « qu’elle va me suivre dans un autre hôpital », je ne comprends pas. Elle me dit que je suis transférée dans un autre hôpital car ils ne peuvent plus me prendre en charge. Mes plaquettes sont à 50 000. Le médecin arrive, je ne l’entends pas vraiment, je rencontre ma fille à travers sa couveuse. Je demande timidement à la prendre dans mes bras. Le médecin m’explique qu’ils m’envoient dans un centre de référence par rapport à la pré-éclampsie pour avoir une prise en charge optimale. Je vais être héliportée.
Vingt minutes plus tard, on me retire mon bébé, je pleure car c’est une nouvelle séparation. Le SAMU est là, avec un brancard. J’essaie de prévenir mon mari. Ils commencent à m’embarquer quand je le vois arriver, un bouquet à la main. Je lui fais un bref résumé et lui disant de ne pas s’inquiéter car je vais bien. Il me suit jusqu’à l’ambulance qui va me conduire à l’hélicoptère. Je m’envole. Je préviens mes proches.
J’arrive dans le nouvel hôpital, on m’envoie en déchocage. Tout le monde s’affaire autour de moi, on me met de nouvelles perfusions, on me pose un cathéter artériel pour me faire moins mal. On prend mes effets personnels, mon alliance puis je monte en chambre, en réanimation.
J’ai des fils et des perfusions partout. Ça me fait mal, je comprends ce que c’est quand une perfusion diffuse.
Je suis triste, mon bébé me manque terriblement. Je viens à peine de la rencontrer qu’on me l’enlève déjà. J’essaie de tirer mon lait toutes les trois heures. Une infirmière m’explique que normalement ils ont un service spécifique pour les jeunes mamans faisant des complications post accouchement mais qu’en ce moment il était fermé car il devait le nettoyer… Les soignants sont gentils, ils m’aident du mieux qu’ils peuvent.
Je reste hospitalisée loin de mon enfant, à plus de 100 km, du jeudi 16 septembre au lundi 20 septembre. Je trouve le temps long, la séparation est dure, mais la douleur s’atténue au fil des jours. J’ai de moins en moins l’impression d’avoir un bébé. Tout ce que je fais c’est que je tire mon lait toutes les trois heures. J’appelle aussi le service de néonatalogie pour prendre des nouvelles de ma fille mais c’est dur, à chaque fois je m’effondre. Mon mari m’appelle en visio lorsqu’il est avec notre bébé, je pleure beaucoup, je suis malheureuse de ne pas être à ses côtés. Je me sens impuissante. Je ne sais pas changer de couche. Je ne sais pas faire ses soins. Je ne sais rien.
Je demande tous les jours quand est-ce qu’elle va venir me rejoindre, comme on me l’avait dit. Je sens la réticence des pédiatres. Je ne comprends pas, ils attendent que ce soit moi qui revienne auprès de ma fille.
Pendant ces cinq jours, je progresse rapidement. On m’aide à me lever le vendredi 17 septembre, je fais une grosse hypotension orthostatique. Je reste au fauteuil cinq heures et je supplie l’équipe de m’aider à me recoucher.
Samedi 18 septembre, on retire la sonde urinaire après quatre jours, j’avais peur d’être devenue incontinente. Je dois uriner au bassin maintenant.
Dimanche 19 septembre, je reste au fauteuil toute la journée et on me sevre du bêta bloquant.
Lundi 20 septembre, on m’enlève ma perfusion d’hypotenseur que je dois prendre par voie orale maintenant.
Retour auprès de bébé
Mardi 21 septembre, je rentre en ambulance, couchée, dans cette maternité que je déteste. J’ai essayé de faire transférer ma fille dans un service de néonatalogie plus proche de mon domicile mais il n’y a pas de place. J’arrive en fin d’après-midi. Je suis hospitalisée à la maternité. Dès que je rentre, je vais voir ma fille en néonatalogie, je suis fatiguée. J’ai encore une perfusion de magnésium.
Je fais mon premier peau à peau et quelques photos. Puis je rentre dans ma chambre, seule, sans bébé alors que dans toutes les chambres autour de moi, j’entends des pleurs d’enfant.
Je prends une douche, ma première douche depuis une semaine… J’apprends à m’occuper de ma fille à travers les hublots de la couveuse. On m’explique comment effectuer ses soins.
Mercredi 22 septembre, je dors pour la première fois avec elle.
Jeudi 23 septembre, je ne suis plus hospitalisée en maternité. Je n’ai plus de chambre, ni de repas prévus. Je dors auprès de ma fille. On demande un transfert près de chez nous, les infirmières puéricultrices appuient notre demande pour que les pédiatres fassent le nécessaire.
Vendredi 24 septembre, notre fille doit être transférée le lendemain dans une néonatalogie plus proche de chez nous, à quand même 40 km. Je veux quitter cet endroit qui nous a été imposé. Finalement, le pédiatre décide de la transférer le vendredi soir. L’ambulance vient chercher mon bébé, je m’effondre en la voyant partir en couveuse. On me la retire encore une fois. Même si je l’ai voulu, c’est dur. Je n’ose pas demander si je peux l’accompagner dans l’ambulance et on ne me le propose pas. Mon mari vient me chercher, on arrive à 19h00 dans le nouveau service et on se prend une grosse claque. L’hôpital est vieux, il n’y a pas de chambre mère-enfant. Notre fille est dans une grande salle avec deux autres bébés. Si je veux rester auprès d’elle, je dois dormir sur un fauteuil. Je suis désemparée, je pleure. L’infirmière puéricultrice essaie de me rassurer, elle nous explique le fonctionnement du service de néonatalogie. Après quelques heures, on décide de rentrer à la maison. On est rassurés et on sait qu’elle est entre de bonnes mains.
Les jours suivants, on apprend beaucoup sur les soins, elle progresse bien, c’est une battante. Malheureusement elle n’arrive pas à bien prendre le sein. Elle prend des petites quantités et s’endort rapidement. On se bat pour mettre en place cet allaitement qui me tient à cœur. L’équipe de néonatalogie nous soutient et nous aide du mieux possible.
Notre fille sortira le 26 octobre, la veille de mon anniversaire, six semaines après sa naissance. Nous sommes tellement heureux. Aujourd’hui, notre fille à 11 mois [août 2022]. J’ai bénéficié d’un suivi psychologique par rapport aux traumatismes que j’ai vécus : une fin de grossesse volée, un accouchement volé, un début de maternité et de parentalité volés, la prématurité, l’hospitalisation en réanimation, la séparation, le fait d’avoir failli mourir et ma sidération.
Je vais mieux, même si j’ai besoin de raconter notre histoire. J’éprouve encore un peu de colère vis à vis de cet accouchement. Et même si le temps panse mes blessures et adoucit les souvenirs douloureux, je reste fragile lorsque j’évoque notre histoire. Mais je suis bien entourée et mon époux m’a soutenue dans cette épreuve.
Ma fille va bien, je vais bien, elle grandit parfaitement. Elle n’a pas de séquelles.
Je n’ai plus de traitement, pas de séquelles non plus.
Nous avons eu de la chance, énormément de chance. J’ai appris par la suite que j’avais eu un hématome rétro placentaire et que mon placenta commençait à se nécroser. Je l’ai appris par courrier, sans explication…
À tous les parents qui passent par la néonatalogie, c’est un long combat, une course d’endurance, ça paraît long c’est difficile. Mais au final, cela passe tellement vite… Courage ! Prenez soin de vous. »