Témoignage de Danielle

Pré-éclampsie : J’avais oublié avoir accouché

Danielle n’avait pas eu de symptômes de pré-éclampsie jusqu’à son hospitalisation. Elle a souffert du manque de compassion et d’écoute de certains professionnels hospitaliers. Comme beaucoup d’entre nous, la pré-éclampsie lui a volé la naissance de son bébé.

« On s’attend à ce que j’ai les dates et les heures en tête. La réalité c’est que je ne sais pas. Je n’ai ni ressenti le temps de séjour ni le temps avant la naissance. Je connais l’heure et la date de naissance car c’est officiel et que mon mari les connaît. Pour tout vous dire, le lendemain (je crois) de l’accouchement, on m’a demandé comment allait bébé, j’avais oublié avoir accouché. Je n’étais pas encore maman dans ma tête.

On est fin mars. Je fais des analyses d’urines tous les mois pour s’assurer que tout va bien. J’ai fait un test sanguin pour vérifier le diabète (je n’ai jamais bu la boisson immonde pour tester mon diabète potentiel) et c’était négatif. Comme tous les mois ce jour-là – le début des emm… j’ai envie de dire – j’ai eu une tension qui a beaucoup bougé. J’avais eu une très bonne nouvelle et on me dit aux urgences que c’est sûrement ça et que je dois surveiller.

Quelques semaines plus tard, je suis en train de manger, le soir. J’avais fait mon test le matin. Je reçois un message urgent de ma sage-femme sur mon téléphone et a priori du laboratoire. Ils me disent que mes analyses ne sont pas bonnes, que j’ai des protéines dans les urines, que je dois foncer aux urgences. À ce moment-là, je vais très bien en apparence, aucune douleur mis à part le matin même où j’avais eu une douleur fulgurante au niveau de la poitrine comme si un éléphant y était assis. Je suis restée allongée toute la matinée et j’ai pris du Dafalgan™. La douleur est passée, je ne me suis pas inquiétée.

La prise en charge

On arrive aux urgences et je ne suis pas très bien (étrangement alors que j’allais bien avant l’annonce). On analyse mes urines une seconde fois et on me fait faire d’autres examens. Là une jeune infirmière essaye par tous les moyens de me poser un cathéter. Dire qu’elle m’a abîmé le bras est un euphémisme… Les œdèmes avaient fait leur apparition tout doucement et elle s’acharnait. J’étais à deux doigts du malaise tant elle me faisait mal. Une autre a fini par lui dire (après 6 tentatives et un bras massacré) : « Je m’en occupe » et l’a donc fait elle-même. On monte ensuite en chambre et là je cours (comme le matin) vomir tout ce que j’ai mangé sans pouvoir m’arrêter. Je monte dans une pièce – une salle d’opération je pense – et on me laisse avec d’autres personnes qui vont surveiller ma tension des heures durant et me piquer régulièrement là où il reste de la place… C’est très douloureux et difficile à faire vu que la première n’a pas aidé les suivantes mais moins douloureux qu’avec elle (la piqûre du moins mais on ne pouvait pas tellement faire pire). On attend, on ne sait pas ce qui se passe vraiment puis une dame adorable et chaleureuse m’explique que mon foie lâche, que bébé tire sur les ressources et les épuise. Il faut le récupérer vite et on vérifie régulièrement si la situation s’améliore ou non. Si ce n’est pas le cas, on sortira le bébé. Le lieu est froid et pas rassurant du tout. Je suis comme en transit. Mon mari finit par rentrer et on me dit que c’est foutu, que je ne vais pas bien, qu’on va récupérer mon fils, qu’on m’emmène ailleurs car ici on ne peut pas garder mon bébé et moi au même endroit.

Quelques heures plus tard – je n’ai pas conscience du temps qui passe, seulement que c’est long et j’ai faim et mal – on arrive dans un hôpital que je ne connais pas et on nous annonce – surprise – qu’ils veulent refaire tous les tests avant d’envisager de sortir le bébé. On me fait miroiter que peut-être je vais pouvoir accoucher normalement, peut-être tenir jusqu’à 36 ou 37SA. Je passe une journée-test. À ce moment-là, je demande si je pourrai avoir au moins le ballon à défaut de mon accouchement prévu ailleurs dans une baignoire, ce à quoi on me répond : « Peut-être s’il est disponible ». Je dis adieu à plus ou moins tout ce que j’avais envie/besoin. Je ne supporte pas les hôpitaux, je vais y rester une semaine, je crois, je ne suis même pas sûre. Moi qui craignais le côté hyper médicalisation, j’ai été servie.

Je passe des jours et des nuits à me faire piquer, à ne pas dormir, à avoir mal. Mon corps était déjà à bout, fatigué car bébé tapait dans les côtes depuis quelques temps. J’étais en arrêt depuis mes 6 mois car mon travail de nourrice n’était plus possible. On me réveillait sans arrêt pour vérifier ma tension. Ça me faisait mal. On me demandait de me reposer. Quand ? J’avais réservé dans l’autre hôpital une chambre simple, je me retrouvais là en grossesse à haut risque avec une autre femme. Comme c’était la crise sanitaire, mon mari ne pouvait pas être là quand le conjoint de ma colocataire était là. Alors je ne pouvais pas l’avoir toute la journée. Pour quelqu’un qui avait perdu sa mère – j’ai dû la débrancher à cause de nombreuses séquelles – et qui avant cela faisait des malaises rien qu’à pénétrer dans une chambre d’hôpital, ne supportant pas la vue du sang, détestant être ailleurs que chez moi, j’étais tout sauf « bien ».

La naissance

Le jour de la naissance de mon fils – j’ignore combien de temps après mon arrivée, une éternité alors qu’on pensait le retrouver dès le début – j’étais avec mon mari. J’avais mal, très mal mais je n’osais pas en parler. La veille, j’avais des sensations étranges et on n’avait rien trouvé au niveau vasculaire. Alors j’avais attendu qu’il parte. Il était paniqué. On peut se demander pourquoi je n’ai rien dit. Petite parenthèse, le premier soir, j’ai ramené mon mari à la porte de l’hôpital. En revenant dans la chambre, la personne qui s’occupait des repas voulait rentrer plus tôt et avait jeté mon repas… On m’a accordé un yaourt mais « fallait pas non plus abuser ». Bien sûr je venais en touriste !!! Quand j’en ai parlé, on était horrifiés. Là-bas, j’étais la princesse qui avait pensé qu’on lui laisserait son plateau. J’étais partie 5 minutes… Le reste du séjour mon plateau sera abandonné plus d’une fois dans ma chambre. Bref, il s’en va et je me décide enfin à dire que j’ai mal. On m’emmène dans une salle pour faire des examens. Là, la personne qui s’occupe de moi regarde mon bras (avec le cathéter) et découvre horrifiée qu’il a coagulé et qu’il date de trois jours environ. Elle me demande si elle peut le changer. Je refuse et raconte que je suis terrifiée qu’on essaie à nouveau de m’en mettre un. Elle me dit que ce n’est pas bon de le laisser comme cela et qu’elle est aguerrie. Je lui fais confiance. Elle me le place en plus à la main. Cela faisait trois jours que chaque mouvement faisait s’enfoncer le cathéter dans mon bras car mal placé. Non seulement elle était adorable mais je n’ai pas eu mal ni pour l’enlever ni le remettre, et avec celui-ci sur la main, je pouvais enfin bouger le bras sans souffrir.

À ce stade-là, j’avais mal en permanence. J’ai eu des produits pour la tension mais seulement du Doliprane™ pour la douleur. Aujourd’hui je sais que j’ai une sensibilité spéciale avec les médicaments, soit ils agissent trop soit pas assez. Donc avec le Doliprane™ autant me donner des Smarties™… Personne ne s’est inquiété pour mon sommeil non plus. J’étais épuisée. Je pense que c’est pour ça que je n’étais plus très réactive à ce moment-là. On a discuté. Elles étaient vraiment adorables. Elles me disaient que mon corps ne tiendrait sûrement pas jusqu’à 36SA. J’arrivais à 34SA. J’ai commencé à avoir mal au dos. J’étais allongée depuis un moment et j’avais envie de faire pipi. Ils sont allés demander si je pouvais bouger ou pas. Une personne est venue et m’a dit que je pouvais bouger et potentiellement faire pipi mais à ce moment-là, légèrement gênée, je réponds « oups déjà fait », ce qui n’était pas vrai car c’est du sang qui coulait. Le médecin arrive ensuite et m’annonce que je ne tiens pas, qu’il faut aller chercher bébé immédiatement. J’étais sûrement absente car j’ai répondu ok. J’étais en mode ça y est je vais le rencontrer.

On m’a emmenée avec l’anesthésiste et un autre infirmier m’a tenu la main, frotté l’épaule et fait des blagues. Je ne me rappelle pas avoir été stressée mais vu que plusieurs années auparavant on avait oublié de m’anesthésier, je craignais sans doute de sentir le scalpel sur ma peau encore une fois. Je n’ai senti que le moment où ils sont allés le chercher. Il n’a pas crié. Monsieur faisait sa sieste. Il avait pourtant ce soir enfiler collant et slip par-dessus pour sauver sa maman en naissant. Je l’ai embrassé et je ne l’ai revu que le lendemain. J’ai été sous morphine et pour une fois j’ai pu dormir ! J’ai attendu mon mari pour aller le voir. Je pourrais vous dire que j’étais aux anges, que je me suis sentie mère mais je mentirais. J’étais joyeuse mais en réalité j’étais sous morphine. Je ne me suis sentie maman que bien plus tard. Et ce jour-là, je suis passée de la morphine à « rien » (Doliprane™), et ce n’est que vers la fin de mon séjour que quelqu’un a enfin compris, et j’ai pu avoir un vrai antidouleur et un calmant pour dormir.

Le manque d’écoute…

Pour voir mon fils, on devait m’emmener en fauteuil. Sans antidouleur, je n’arrivais pas à marcher sans faire un malaise vagal à chaque pas. Je devais revenir pour les prises de tension et de médicaments. À un moment, on m’a dit qu’il fallait que je marche, que ça irait mieux donc plus de fauteuil. Je vous laisse imaginer la vitesse à laquelle j’allais : à chaque pas, un malaise, pour aller jusqu’à mon fils puis qu’on me demande de remonter. Plus d’une fois j’ai dû attendre pour qu’on me mette mon fils dans les bras. On ne nous laissait pas le débrancher (il était en soins intensifs par manque de place seulement). On m’a parlé de chambre kangourou puis quelqu’un m’a avoué que je n’ai jamais eu réellement cette possibilité, que j’allais rentrer sans lui et qu’il serait transféré près de chez nous. Mon mari a dû faire les soins pendant longtemps, j’étais juste bonne à m’asseoir et attendre qu’on me le pose sur moi. Le chemin du parking (loin) à la néonat était le parcours du combattant, toujours sans antidouleur. À la fin de mon séjour, devant mon mari, on m’a demandé pourquoi je n’ai pas demandé qu’on m’aide pour me laver… ! Mon mari s’est retenu (comme il s’est retenu en néonat de peur qu’on s’occupe mal de notre fils) mais plus tôt, après l’accouchement alors que j’avais de fortes douleurs, j’ai demandé à une infirmière de m’aider à aller à la salle de bains faire pipi. Elle m’a répondu : « Vous ne voulez pas que je vous porte aussi !? » et l’a fait à contre-cœur (je me suis juste tenue à elle jusqu’à la porte puis elle m’a laissé me débrouiller). C’était la même qui me trouvait exigeante quand on a jeté mon plateau repas. Quelques jours plus tard une des femmes m’a lavé l’entrejambe doucement et avec compassion, comprenant que c’était compliqué et que j’en avais besoin. Elle m’a amenée à la salle de bains, m’a déshabillée et m’a lavée. Pourquoi ? Parce qu’on m’avait trouvée au sol. J’avais tenté de me laver, j’ai fait deux malaises vagaux et je n’avais pas la force de me relever.

Se relever après cette épreuve

J’ai mis des mois je pense, peut-être plus, à penser à la naissance de mon fils de façon positive, à me souvenir des bons moments. Je n’ai pas allaité mon fils car on m’a collé un tire-lait que je ne connaissais pas (ça faisait un an que je me renseignais sur l’allaitement) et que je devais rester plantée là en ne touchant à rien et tirer toutes les 4 heures. Ce sont des personnes bienveillantes qui m’ont aidée à ce moment-là. J’étais incapable de tirer, les téterelles n’étaient pas à ma taille, je ne tirais RIEN et on ne m’avait rien expliqué – ce qu’on avait pourtant pris le temps de faire avec ma colocataire… Deux mois plus tard, une association m’a sauvée et j’ai relancé ma lactation. Mon fils est toujours allaité à 18 mois [décembre 2022].

Petit point important, j’ai passé mon temps à prévenir des mamans qui avaient des migraines concernant la pré-éclampsie. Je n’ai eu des symptômes qu’au dernier moment, aucuns œdèmes avant le jour J et jamais eu de migraines. Ne négligez pas les analyses tous les mois. Allez aux urgences à la moindre problématique. Exigez de vérifier si vous sentez que quelque chose ne va pas. Personne ne m’a rien expliqué. On m’a volé la naissance de mon fils. Aujourd’hui je suis suivie par un psychiatre pour essayer de régler tout ce qui m’a traumatisée avec l’accouchement et le post-partum. »

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