Pré-éclamspie et récidive en post-partum

Tiphaine a eu une pré-éclampsie à 33SA diagnostiquée en retard pendant le premier confinement, et évoque le manque d’informations lors de son suivi. Elle a pu mener une seconde grossesse mieux suivie à terme mais avec récidive de pré-éclampsie en post-partum, malgré la prise d’aspirine. Elle parle aussi de l’importance d’extérioriser son ressenti sur ce traumatisme et le vécu de la prématurité.

‟Bon je me lance, ça va faire bientôt 2,5 ans, c’est passé à une vitesse. Je me suis longtemps dit que ça ne servait à rien, qu’il y avait tellement « pire » mais au final si cela peut aider ne serait-ce que moi-même à être en paix alors je me lance. Voici donc mon histoire ou plutôt notre histoire avec Agathe qui va avoir 2 ans et demi, et aussi un peu celle d’Arthur qui vient d’avoir 6 mois.

Retour en arrière, en plein confinement en mars 2020, avec mon mari on décide de partir à la campagne. On quitte donc Lyon et de toutes façons tous mes rendez-vous de suivi de grossesse sont annulés. Je devais d’ailleurs commencer mon suivi à la maternité où je m’étais inscrite, finalement je n’ai eu qu’un rdv téléphonique. Je suis à un peu plus de 5 mois de grossesse, tout se passait bien.

Apparition de symptômes

Et puis en avril, je prends en l’espace de deux semaines beaucoup de poids mais vraiment beaucoup (une dizaine de kg), je m’inquiète, je fais beaucoup de rétention d’eau !… Ma mère me dit de faire attention à ce que je mange car effectivement je suis « gonflée » (sympa, maman). Ma sage-femme que je vois en visio pour les préparations à l’accouchement ne s’inquiète pas non plus plus que ça. Pourtant je sens bien que ça cloche quelque part ; mais c’est ma première grossesse donc je me raisonne et me dis que ça doit être « normal ».

Je prends quand même rdv chez une autre sage-femme que je ne connais pas à coté de mon lieu de confinement, je lui explique pour la rétention d’eau et la prise de poids quand même excessive. Elle prend ma tension qui est normale, elle me fait faire des analyses de sang pour le diabète gestationnel mais ça s’arrête là. De mémoire, il y avait une de mes analyses d’urines qui n’était pas dans les normes mais on ne m’a pas rappelée, et je me suis dit que c’était une erreur lors du prélèvement que j’avais mal fait.

Pourtant je me sens mal. Début mai, rdv téléphonique avec la maternité, j’en parle mais ma tension est correcte alors ça dure cinq secondes et ça s’arrête là. Je n’avais pas d’idée précise sur ce que j’avais, je connaissais la pré-éclampsie, ma tante et ma belle-sœur en avaient fait une. Je connaissais vaguement les symptômes mais je ne connaissais pas la « gravité » et les conséquences que ça pouvait engendrer.

Je suis à 33SA. Au regard de ce qui va suivre, je peux dire que j’ai eu tous les symptômes et que pourtant j’en ai parlé – sans mettre les bons mots certes – mais qu’on n’a pas su bien m’écouter ? Barre à l’estomac, maux de têtes, mouche devant les yeux et œdèmes ++++ Alors certes le Covid a bousculé toute l’organisation des suivis de grossesse mais je crois pouvoir dire aujourd’hui qu’on a été des dommages collatéraux… Avec des « si » on refait le monde mais peut-être qu’on aurait trouvé un traitement adapté qui nous aurait fait échapper à la prématurité. 

Nous voilà donc à Lyon le 12 mai 2020 dans le cabinet de ma sage-femme pour la préparation à l’accouchement. Je lui dis que je ne me sens pas bien, que la veille j’ai lu un article sur la pré-éclampsie et je veux bien qu’elle prenne ma tension quand même. OK, et là je vois sa tête… ça devait déjà être à 17/10 ou quelque chose comme ça. Elle me dit qu’on va faire le rdv et qu’elle la reprendra à la fin. Elle nous parle de début de travail, de contraction, de respiration, mais je sens bien en la regardant qu’elle comme moi, on a déjà compris que ça ne se passerait pas comme ça… À la fin de la séance, ma tension n’a pas baissé. Elle appelle les urgences pour qu’on y aille directement.

La prise en charge

Arrivée là-bas on me met dans une pièce et tout devient flou car, à partir de ce moment on n’a pas trop compris ce qui nous arrivait. Diverses prises de sang, d’urines, on me pose une voie centrale, mais surtout on ne me parle pas… On dit à mon mari d’aller chercher des affaires car on ne me laissera pas rentrer (d’accord mais pourquoi ?) ensuite on fait venir un anesthésiste qui me parle de mes résultats pour la première fois et qui ne sont – je m’en doutais – pas terribles. Il me dit qu’on va me transférer dans un autre hôpital car si mon bébé devait naître il serait trop petit et qu’il faut une maternité de type II B ou III (d’accord mais pourquoi ?) et surtout on me dit que mon mari ne peut pas me suivre à cause de la situation sanitaire, et là je m’effondre littéralement. Je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer, j’ai de violents maux de tête, je suis seule dans un couloir, branchée à un tensiomètre qui ne fait que monter, à attendre mon transfert sans comprendre, sans mon mari, et les gens passent sans s’arrêter.

Me voilà arrivée dans un autre hôpital. Franchement je dois ressembler à une loque mais AMEN on me dit que mon mari peut venir. Il rapplique aussitôt ! Commence un loooongue nuit de surveillance rapprochée. On a essayé trois traitements pour stabiliser ma tension. Je n’ai évidemment pas le droit de manger et on me pose une deuxième voie centrale entre deux piqûres. On a appris le lendemain qu’on n’est pas passés très loin de filer au bloc. On me parle de cette pré-éclampsie, de HELLP syndrome, de piqûre de corticoïdes pour le bébé. Tout se mélange mais enfin on sait et on prend le temps de nous expliquer. On est tellement sonnés qu’on ne fait qu’acquiescer. J’ai réalisé après coup en faisant des recherches de la gravité de la situation dans laquelle nous étions.

Toute la semaine va ressembler à ça, des allers-retours en salle et en chambre, des millions d’analyses, chaque jour gagné est une victoire ! On a même essayé de me faire accoucher par voie basse, évidemment à 33SA, ni le corps ni le bébé ne sont prêts. Ce fut un bel échec mais je pense finalement que ça devait être pour m’aider à intérioriser que j’allais accoucher et que ça serait une césarienne. Mais au moins on avait « essayé ». Elle a été importante cette semaine, j’ai eu le temps de voir venir la fin.

Je suis alors à 34SA, c’était l’objectif et on a réussi ! Mon corps a tenu ! Comme s’il avait rempli la part du contrat. C’est le moment ! Le mardi 19 mai 2020, après une cinquième nuit en surveillance rapprochée, l’équipe (que je commence à très bien connaitre) arrive le matin. Tous les voyants sont au rouge, il faut y aller, on a tout essayé mais c’est la fin (ou plutôt le début d’une nouvelle aventure). Tout va vite, je me laisse entièrement faire. Mon mari est là et à 10h54, naît Agathe, 42 cm, 1,825kg. On a le temps de la voir deux secondes et elle part en réanimation dans la foulée.

L’épreuve de la prématurité

Ça y est, elle est là ma si petite fille… Je me retrouve seule dans la salle d’opération et ensuite en salle de réveil. C’est déroutant de se sentir vide, je touche mon ventre par réflexe mais elle n’est plus là. Je vais avoir mal, très mal et je n’ai pas mon bébé à côté de moi alors que j’entends des bébés pleurer dans le couloir. La rencontre a été irréelle, elle avait un ballon d’oxygène sur la tête et moi, encore shootée par l’anesthésie, je ne réalisais pas. On n’avait pas le droit de la caresser, j’avais l’impression de tout faire mal, c’était mon bébé mais je n’y croyais pas. Et surtout je trouvais terrible de ne pas être la personne la plus à même de m’occuper d’elle alors que c’était justement mon bébé…

Agathe est restée un petit mois en réanimation néonatale puis néonatalogie, elle va bien aujourd’hui. J’ai pu l’allaiter grâce au tire-lait, elle a pris progressivement des forces. Elle avait juste besoin de temps et nous aussi finalement, ça a été si brutal. On s’est apprivoisées doucement.

Je sors le dimanche de l’hôpital. Je suis encore beaucoup suivie mais n’ayant pas d’unité kangourou, nous faisons les allers-retours et chaque retour est un déchirement. Il y a encore les restrictions Covid, nous avons le droit à une entrée et une sortie dans le service. Nous restons donc de 12h00 à 19h00 avec elle, entourés de « bip bip ». Nous savourons les petites étapes, le premier peau à peau, le premier bain… Nous pleurons parfois, nous ne voyons pas la fin. Mais c’est avec elle que nous rentrons le 12 juin ! 

J’ai appris de cette expérience qu’on a le droit de dire que c’est dur, cela ne minimise pas la douleur des épreuves d’autrui et nous ne cherchons pas à ce qu’on s’apitoie sur nous. Evidemment qu’il y a pire mais on a le droit de le dire ! Oui, on s’imaginait devenir parents simplement et oui, j’en ai souffert dans mon corps et dans mon cœur. On nous disait : « je ne sais pas comment vous faites » et bien quand on n’a pas le choix, on fait mais on a le droit de craquer à un moment.

J’ai été longtemps envieuse des femmes enceintes que je voyais alors même que j’avais Agathe avec moi, j’avais l’impression qu’on m’avait volé une partie de ma grossesse. Avec le confinement, peu de monde m’avait vue enceinte finalement. J’ai aussi longtemps été envieuse des récits de grossesse et d’accouchement parfaits, mais j’ai compris que notre histoire faisait ce que nous sommes aujourd’hui, Agathe et moi, et cela ne changera pas alors nous en faisons une force !

La grossesse d’après

C’est assez naturellement que nous avons souhaité agrandir la famille, mais forcément avec un peu d’appréhension. Je savais que je serais très surveillée et que j’avais perdu le côté « insouciant » qu’il est sympa d’avoir lors d’une grossesse qui se déroule normalement. 

J’apprends ma grossesse en août 2021 pour notre plus grande joie. Je prends de l’aspirine. On me découvre une thrombopénie vers 4 mois de grossesse. J’ai deux prises de sang par semaine, des échographies tous les mois dès le début du 3ème trimestre, un monitoring par semaine et un rdv de contrôle en plus, des passages à l’hôpital, bref j’enchaîne ! Mais je suis confiante, je vois les semaines passer, 30, 34, 36… ! J’espère même pouvoir accoucher par voie basse ! Finalement je ne l’imaginais pas mais je commence à en avoir marre et à vouloir accoucher, et je comprends que les 9 mois sont importants !  

Et là, j’y crois ! J’espère que tout va se déclencher naturellement. Moi qui disais que ça serait un bébé d’avril, je vois mai arriver… Le 3 mai, j’ai un rendez-vous à l’hôpital, mes tensions grimpent et ils décident de me garder. Aïe, douche froide, mon rêve de déclenchement naturel tombe à l’eau mais je me dis dans un sens qu’on a eu raison d’être hyper vigilants tout le long ! Du fait de ma première césarienne je sais que ce n’est pas gagné. On me pose un ballonnet qui ne fonctionnera pas, mon état est stable mais les médecins ne sont pas optimistes, plus vite j’accouche mieux c’est ! Et je pars finalement au bloc jeudi 5 mai, Arthur va naître à 12h30, pour 50cm et 3,2kg mais je connais et surtout mon bébé va bien ! Je l’ai même avec moi en salle de réveil ! Bonheur ! Mais sans savoir pourquoi mes tensions se sont emballées après la naissance et les traitements ne marchaient pas, on ne voulait pas me laisser partir. Je commence alors à désespérer et à me sentir sombrer dans une espèce de dépression. J’ai été envoyée en cardiologie, on m’a posé un Holter pendant 24h. Déjà que je n’en étais pas fan mais je ne peux plus voir un tensiomètre sans paniquer.

C’est là qu’on m’a clairement parlé de pré-éclampsie du post-partum, elle était là, elle s’était montrée à la fin. On pensait qu’elle partirait à l’accouchement mais elle était restée, on l’avait guettée pendant 9 mois, je croyais pourtant cette histoire terminée. Je reste plus d’une semaine à l’hôpital avec mon bébé, on devient les doyens du service suite de couches ! Le moral se fait la malle et je fais un forcing pour rentrer chez moi. Je veux partir le plus loin possible.

On m’avait dit que c’était rare, que la foudre tombait rarement au même endroit deux fois, mais pour moi ce fut le cas, même si l’aspirine a bien fait son travail. Je ne sais pas ce que ça donnera si un jour on se lance dans une nouvelle aventure bébé. Même si je remercie mon corps d’avoir porté deux fois la vie, je lui en veux encore un peu d’avoir failli. Je fais une croix définitive sur un suivi et un projet de naissance « classiques ». Mes deux enfants vont bien et cela reste le principal, alors merci la vie !”

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