Témoignage d'Emilie C.

Symptômes de pré-éclampsie totalement négligés

« 16 mois se sont écoulés et il est temps de poser par écrit mon histoire, ou du moins une partie de celle-ci. 

J’aurais tellement de choses à dire, tellement de sujets à aborder : les séquelles et le suivi post-partum, la séparation maman-bébé et la difficulté de créer un lien, le parcours néonat, le choc traumatique et ses conséquences… Mais ce qui qualifie particulièrement mon histoire avec la pré-éclampsie, et qui doit alerter, c’est l’absence totale de diagnostic, malgré les très nombreux symptômes sans équivoque. 

J’avais 26 ans, et j’étais en parfaite santé. Mon début de grossesse se passait merveilleusement bien. J’étais suivie par la gynécologue que je consultais depuis plusieurs années déjà, et elle travaillait dans l’hôpital principal de ma ville, qui m’avait vu naître. Je me rendais à son cabinet privé pour les consultations mensuelles de routine et à l’hôpital ponctuellement, pour les examens (échographies, prises de sang…) ou en cas de soucis. C’était ma première grossesse, je n’y connaissais rien mais j’étais pleinement en confiance avec cet encadrement. Jamais je ne me serais doutée que le suivi n’était absolument pas adapté et suffisant. Voici mon récit…

Le premier trimestre se déroule sans encombre, et se clôture avec l’échographie et la prise de sang : tout va pour le mieux, nous attendons une petite fille, il n’y a aucune suspicion de trisomie, nous sommes sur un nuage. Les ennuis commencent au deuxième trimestre, et ne vont plus nous quitter. 

Un jour, je me sens bizarre mais impossible de savoir ce qui m’arrive, je ne sais pas l’expliquer. Je finis par comprendre en passant devant un miroir : j’ai le visage paralysé. Je ne m’inquiète pas spécialement car je suis tout sauf hypocondriaque et j’ai confiance en la médecine. Je vais simplement consulter mon médecin traitant. Elle est inquiète, ne veut prendre aucun risque, et m’envoie directement à l’hôpital. Aux urgences, il se passe plusieurs heures avant qu’on s’occupe de moi. On me fait passer par le « tri », où des infirmières prennent mes constantes et je finirai par voir brièvement un médecin qui posera le diagnostic de paralysie de Bell, et rédigera une prescription, sans réellement m’ausculter. Elle me précise, sur le ton du reproche, que ce dont je souffre ne justifie pas de se rendre aux urgences. Je lui demande si les médicaments qu’elle prescrit sont compatibles avec la grossesse. Elle n’en sait rien. J’insiste alors pour qu’elle se renseigne et un gynécologue donne apparemment son feu vert par téléphone. Ce jour-là, je ne verrai donc aucun gynécologue. Personne ne prendra en compte ma grossesse. J’informe ma gynécologue habituelle par mail de la situation et elle confirme qu’il n’y a rien de grave selon elle. J’irai également consulter un neurologue par la suite, toujours dans le même hôpital, qui ne parviendra pas à identifier la cause de ma paralysie. On en restera là.  J’apprendrai plus tard que ce jour-là, ma tension était déjà à 16/10 (j’ai demandé à consulter mon dossier médical quelques mois plus tard), mais personne ne s’est alerté. Plusieurs mois après la naissance de ma fille, me rappelant ce passage aux urgences, je me renseignerai sur le sujet et découvrirai avec effroi que la paralysie de Bell est bel et bien un symptôme annonciateur de la pré-éclampsie, surtout quand elle est accompagnée d’hypertension artérielle, et qu’une femme enceinte paralysée doit normalement faire l’objet d’une attention toute particulière. Pourtant, personne ne s’est inquiété. 

La grossesse se poursuit. Les médicaments aident mon visage à retrouver un peu de sa mobilité, progressivement. Mais les autres symptômes se développent et s’enchaînent… Je me plains ensuite de douleurs dans les mains : le syndrome du canal carpien. Il suffit d’attendre la fin de la grossesse, selon la gynécologue. Je dois prendre mon mal en patience. À nouveau, je découvrirai par la suite que c’est le même mécanisme, lié à l’hypertension, qui provoque le syndrome du canal carpien et la paralysie faciale, mais personne ne fait le lien entre ces trois premiers symptômes. 

Au niveau de la tension artérielle d’ailleurs, elle n’est relevée que rarement : lors de la consultation mensuelle chez la gynécologue. Cependant, cette consultation n’a pas forcément lieu tous les mois car, quand je vais à l’hôpital pour une échographie, la gynécologue ne juge pas utile de me voir à son cabinet ce mois-là. Or, le gynécologue de l’hôpital, lui, ne prend pas ma tension. J’apprendrai plus tard qu’il ne prenait même pas connaissance de mon dossier. Il faisait seulement l’échographie car c’était ce qui était demandé (c’est la procédure, m’a-t-on expliqué plus tard…). Tout repose sur le fait que le suivi est probablement bien fait par la gynécologue habituelle. Et les seules fois où elle prend ma tension, elle n’est pas bonne : je suis trop stressée selon elle… Elle ne s’inquiète pas plus que cela. J’ignorais d’ailleurs totalement que la tension était un paramètre clé dans le suivi d’une grossesse étant donné le peu de crédit qu’elle accordait à ces valeurs trop hautes. 

À aucun moment on ne me fera une analyse d’urines, ou on me proposera d’en faire une. Pas même une simple tigette. Je ne savais même pas que ça existait. À nouveau, quel effroi quand j’ai appris que d’autres femmes enceintes autour de moi se procuraient simplement des tests à la pharmacie pour les faire à la maison, très régulièrement. Il paraît que c’est un examen de base, qui doit être fait à chaque consultation, je le sais aujourd’hui… 

J’ai commencé à avoir de grosses douleurs dans le bas du dos et aussi au milieu, en dessous des côtes. Aujourd’hui, je sais sans aucun doute qu’il s’agissait de douleurs au niveau des reins et de la fameuse barre épigastrique, symptômes courants de la pré-éclampsie, mais à ce moment, la gynécologue se contente de m’envoyer chez l’ostéopathe, rien de plus.

L’échographie du troisième trimestre (à l’hôpital) arrive et il devient vraiment difficile de marcher jusqu’à la salle de consultation. Je suis très essoufflée. Pour la première fois, je mentionne que mon bébé ne bouge plus beaucoup : normal, le bébé prend de plus en plus de place et ne peut plus bouger comme il le souhaite, me dit le gynécologue de l’hôpital. Après cela, je retournerai encore une fois au cabinet privé de la gynécologue. On commence par la pesée. J’ai pris 10 kg d’un coup, soit plus de 2 kg par semaine. Je me fais gronder car je mange certainement très mal : je dois faire attention ! Sauf que je souffre terriblement de nausées et de brûlures d’estomac, donc je ne mange déjà plus grand chose à ce stade… Je répète que je suis très essoufflée. Elle me répond que si j’avais pris moins de poids, je n’en serais pas là. Elle me culpabilise. Je lui dis que je me trouve difforme, que j’ai des difficultés à marcher tellement mes pieds sont devenus des boules. Elle me dit qu’elle aussi, pendant sa grossesse, elle devait mettre des tongs car c’était plus confortable. Elle ramène les choses à elle et à nouveau, je ne suis pas écoutée.

Je mentionne encore que mon bébé ne bouge plus beaucoup. Elle me fait une échographie très rapide, moins de 30 secondes (sans même nous sortir des photos comme d’habitude), il faut dire qu’elle avait rajouté ce rendez-vous en dernière minute car elle prenait des congés ensuite. Panique de mon côté car bébé n’a pas du tout grossi depuis la dernière fois. Elle n’est pas inquiète. Les deux échos ont été faites par deux médecins différents, sur deux machines différentes. Sans doute que la dernière fois, le poids était surestimé. Et puis, cela reste des estimations, donc je ne dois pas en tenir compte selon elle. À plusieurs reprises lors de la consultation, je lui mentionnerai que je ne me vois vraiment pas aller au terme de cette grossesse mais elle n’y croit pas. Malgré mes demandes, elle ne prévoit pas de me revoir avant 4 semaines… (nous ne nous reverrons plus).

Chez moi (je suis enfin en arrêt de travail grâce à mon médecin traitant), mon état se détériore encore un peu plus les jours qui suivent. Je passe mes journées couchée, chaque effort est insurmontable tellement je suis essoufflée et je suis remplie d’eau au point qu’elle sort par ma bouche en permanence. Le 12 juin, je commence à avoir très mal à la tête. Mais je ne m’inquiète pas. J’ai eu de nombreux symptômes beaucoup plus troublants avant, et les médecins ont pourtant toujours dit que tout allait bien. De toutes façons, personne ne m’écoutera pour « si peu ».

Le 13 juin au matin, je perds beaucoup de sang. Nous filons à l’hôpital et là on s’occupe tout de suite de moi : on me prend au sérieux pour la première fois ! La tension est à 20/13. Je lis la panique dans les yeux de l’infirmière. On me met sur une chaise roulante et on court dans l’hôpital. Une gynécologue vient à notre rencontre dans le couloir. Elle me fait une échographie rapide : on entend un cœur. Cependant, aucune ouverture, il ne s’agit pas d’un travail précoce (c’était encore mon espoir à ce moment-là). On lance un monitoring et on envoie mon compagnon remplir des papiers. Je suis seule dans la pièce quand cinq femmes entrent au bout de quelques minutes, me lèvent, me déshabillent dans l’urgence et me disent qu’il faut aller chercher le bébé. On me met dans un lit et on court jusqu’au bloc. On est tellement dans l’urgence que l’anesthésiste dira, dans le bloc : « Maintenez-là et attrapez-lui les cheveux, je n’y vois rien ». C’était l’enfer. Tout va vite. On me dit « félicitations », puis plus rien, on ne me montre pas le bébé. Je ne sais pas comment il va. On me referme et après un temps interminable, on me monte finalement en chambre, la rencontre la plus importante de ma vie va arriver et je passe enfin à côté du petit lit : vide. Le bébé avait été emmené en néonat et je n’en savais rien. Le bébé sera ensuite transféré dans un autre hôpital. Je resterai deux jours toute seule dans cette chambre à attendre, le temps qu’on « trouve une ambulance » pour moi. 

En 1h30, ma vie a basculé. Ma grossesse se passait soi-disant si bien, et en un instant, je me retrouve seule dans une chambre d’hôpital, le ventre vide, et papa et bébé dans une autre ville. J’entendrai pour la première fois le mot pré-éclampsie prononcé par le médecin qui m’a ouvert le ventre plus tard dans la journée. J’ai dû me renseigner par moi-même en effectuant des recherches, et en consultant dans un autre hôpital, les mois qui ont suivi, pour en savoir plus. 

Évidemment, j’ai été bien amochée : plusieurs jours sous oxygène (quand je le disais que j’étais essoufflée…), plusieurs mois en hypertension et sans doute à jamais traumatisée. J’ai dû me battre pour avoir un suivi post-partum. Des médecins ont encore osé me dire que les épanchements dans mon cerveau, les soucis cardiaques et la forte tension artérielle dans les mois qui ont suivi la grossesse n’avaient sans doute aucun lien avec la pré-éclampsie, que j’étais trop stressée, que je n’avais qu’à ne plus y penser et que ça partirait tout seul…

Aujourd’hui, je suis convaincue d’avoir souffert de négligences graves pendant la grossesse et aussi de mauvais traitements pendant l’hospitalisation (par exemple : aucune aide pour la mise en place du tire-allaitement (étant donné la séparation), pas de soutien psychologique, aucune possibilité de créer un lien avec le bébé (donner des nouvelles, lui fournir les affaires que je lui avais préparées si méticuleusement et avec tellement d’amour…), pas d’explications sur ce qui m’était arrivé, on m’a même reproché d’avoir mis la vie de mon bébé en danger…). 

Il est temps que les choses changent. Ce genre de drame ne doit plus jamais se produire. Le personnel médical doit être informé sur la pré-éclampsie et une femme enceinte se présentant aux urgences devrait toujours être vue par un gynécologue. J’ai l’impression que mon cas aurait pu être qualifié de « cas d’école » tellement je cochais toutes les cases des symptômes et malgré tout, j’aurais été mieux soignée par Google. Aujourd’hui ma fille va bien et n’a aucune séquelle, nous apprenons tous les jours à nous connaître. Mais malgré moi, je dissocie encore toujours ce gros bébé en parfaite santé, annoncé à 3,5kg, que l’on disait se trouver dans mon ventre pendant la grossesse soi-disant sans problème, et la mini crevette préma dans sa couveuse, que l’on m’a présentée beaucoup trop longtemps après sa naissance. »

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